le Mardi 21 mars 2023
le Jeudi 8 avril 2021 5:44 Divers

L’appel de la forêt

Photo : Yves Lafond
Photo : Yves Lafond

Photo : Yves Lafond

 

The Call of the Wild de Jack London.Quelle histoire! Elle va au cœur, sans qu’on s’en aperçoive. Elle va se loger dans le subconscient sans se sentir obligée de s’imprégner dans le conscient. Il faut que ce soit ça. Je ne vois rien d’autre.

Parce qu’en résumé, ce n’est que l’histoire d’un chien. Un gros chien-chien pas méchant, mais pas serviable pour cinq cents, qui ne fait que des bêtises dans cette maison bourgeoise des États-Unis. Après toutes sortes de péripéties, il se retrouvera au Yukon et deviendra graduellement chien de tête dans un attelage de traîneau, avant de finir chef de meute aux fins fonds des bois. À première vue, cette histoire n’a rien de trop stimulant du point de vue intellectuel. Quoique je me suis essayé dernièrement au supposément chef-d’œuvre de Marcel Proust : À la recherche du temps perdu. Là non plus, la stimulation intellectuelle, je l’ai pas vue.

J’étais au Walmart l’autre jour. Ici au Yukon, peu importe nos principes, nous aboutirons de temps en temps à cet endroit. On ne s’enfarge pas dans les centres d’achats ; on ne navigue pas dans une mer de magasins. Je me suis ramassé près de la section électronique. Avant, j’y allais tout le temps pour les DVD. Du temps que je vivais dans mon camion. Mais depuis, je me suis calmé. Je n’y mets plus les pieds.

Mais l’autre jour, elle semblait m’appeler. Je suis tombé sur Call of the Wild, avec Harrison Ford. Une nouvelle version sûrement. Comme je venais de passer dans un documentaire à Arte TV portant sur le Yukon intitulé L’appel du Nord,basé sur cette œuvre, je me suis senti presque obligé de l’acheter. J’avais hâte de me retrouver dans la solitude de ma couchette dans la nuit arctique pour revoir cette histoire connue comme Barrabas dans la Passion.

Quelques jours plus tard sur la route du Nord, après le visionnement, j’en vins à deux conclusions : je n’avais jamais lu et ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam cette histoire. Surprenant. J’étais censé et je pensais la connaître. Deuxième conclusion : l’histoire d’un chien qui se découvre, c’est sympathique, mais plutôt enfantin. Je me suis endormi avec cette idée. Je me suis réveillé avec la même pensée. Elle m’a trotté dans la tête toute la journée. Allez savoir pourquoi ; une histoire pour endormir les enfants n’a rien de bien important. Au soir, afin de vider la question et d’en avoir le cœur net, je l’ai remis dans l’ordi. C’en était presque gênant.

Je me suis endormi encore une fois avec ce chien me courant tout partout dans la tête. J’en ai même rêvé un p’tit bout. Et comme de fait, au réveil, il était toujours là. J’ai arrêté de penser et me suis mis à réfléchir. Il faut dire que cette histoire se lie à un contexte. Depuis belle lurette, chaque été voit débarquer une quantité phénoménale d’Allemands. Ils ont même leur charter qui vient directement de là-bas, sans escale.

Un jour, je discutais avec un ami de leur nombre disproportionnellement élevé. Il émit la théorie que Jack London puisse en être le responsable. En Allemagne, au secondaire, ils avaient comme lecture obligatoire son roman. Ça faisait du sens. Mais dans mon ignorance, je croyais que ça parlait d’un aventurier vivant une grande saga dans ce Yukon si sauvage et empli d’or qu’on ramassait à la pelle. Que leur attirance pour ce territoire venait de cette fable épique! Pas de celle d’un chien maladroit et inconscient qui n’en a rien à foutre de tout cet or enfoui sous terre.

C’est ici au milieu de cette nature intense qu’il se découvre vraiment. Qu’il découvre qui il est. On retrouve cette quête d’identité, si populaire par les temps qui courent. C’est avec ce chien que l’auteur fait passer ce message. Et c’est aux enfants et adolescents qu’il s’adresse.

En fin de compte, c’est à ces âges qu’on façonne nos bases. Celles sur lesquelles on construira ou on ne construira pas notre vie. Le solage sur lequel on bâtira ou qui ne restera qu’un solage sans murs ni toit.

Cette idée de l’identité me trottait dans la tête depuis quelque temps. Suis-je devenu à peu près la personne que je devais être? Suis-je devenu la personne que je rêvais d’être? Suis-je devenu l’homme de mes rêves? Sinon, est-ce si dramatique? Peut-être pas pour tous. Mais pour moi, ce l’aurait été.

Vivre ou mourir, parfois les deux, dans un monde où la nature est la reine incontestable nous rendrait rois de notre propre destinée? Vivre selon ses règles au lieu de celles imposées par la société, quitte à en mourir serait une bonne manière de se découvrir? Vivre selon les lois de la nature serait vivre selon celles de Dieu?

Au cours des années, j’ai souvent demandé à des Allemands ce qui pouvait bien les avoir attirés ici. Ils me répondaient tout le temps des phrases vagues toutes faites genre : « La nature, les beaux paysages, etc. » C’est bien joli, mais pas assez pour justifier un changement de vie à l’autre bout d’un autre continent. Après les avoir questionnés sur le possible lien avec cette lecture obligatoire, ils s’arrêtaient presque tous pour y songer. Après une pause, souvent leurs visages s’illuminaient. Ils venaient de faire la connexion.

Quand je revins chez moi le week-end suivant, j’en fis part à ma mère. À la fin, elle me demanda si ce n’était pas ce qui m’était arrivé à moi aussi. Le coup de masse dans le front! Je me faisais penser à ces Allemands. Je ne pus qu’admettre que comme eux, j’avais suivi le même parcours que ce chien. Et ça me revint enfin. Je l’avais lu à l’école moi aussi. Ce maudit chien. Il s’était donc immiscé si furtivement jusqu’au fin fond de mon cœur adolescent que je l’avais oublié.

L’adolescence. Ne pas la mésestimer. Parce que les ados, ils ont peut-être le disque dur bien plus dur qu’on le pense.