le Lundi 5 juin 2023
le Vendredi 22 Décembre 2017 16:18 | mis à jour le 9 janvier 2023 19:41 Éditoriaux

Un Web à deux vitesses

Photo : Pixabay
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Le 14 décembre, les États-Unis ont mis fin à la neutralité du Net. Ce principe fondateur d’Internet garantissait jusqu’à présent l’égalité de traitement de tous les flux de données.

Le 14 décembre, les États-Unis ont mis fin à la neutralité du Net. Ce principe fondateur d’Internet garantissait jusqu’à présent l’égalité de traitement de tous les flux de données. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) américains comme Verizon, Comcast ou AT&T, ne pouvaient pas par exemple transporter un flux vidéo plus rapidement qu’un autre, bloquer l’accès à certains contenus ou proposer aux internautes des tarifs plus ou moins élevés en fonction des sites qu’ils fréquentent.

Cette époque est aujourd’hui révolue chez notre voisin du sud. Mais l’abrogation de ce principe universel, qui s’inscrit au cœur d’une vision néolibérale taillée à la mesure des grandes entreprises de télécommunications, pourrait également être lourde de conséquences au Canada.

Certains sites comme Netflix ou Youtube pourraient par exemple être tentés de débourser des sommes considérables pour transporter leurs contenus vidéo par les canaux les plus performants du marché. Or, ce manque à gagner pourrait bien se répercuter aussi sur les internautes canadiens ou les exposer à plus de publicité. L’hypothèse est d’autant plus plausible que les FAI qui proposent également des contenus pourraient privilégier leurs propres données au détriment du flux des concurrents.

Cette libéralisation du Net pourrait également freiner l’innovation et l’accès à la diversité puisque de jeunes sites Web seront certainement dans l’incapacité de s’offrir la voie royale. De nouveaux outils potentiellement géniaux pourraient ainsi voir leur développement freiné sur le marché américain.

La démocratie et la liberté d’information pourraient aussi pâtir de l’abrogation de la neutralité du Net. Contrairement aux poids lourds de l’industrie, des sites financièrement limités comme Wikipedia pourraient en effet voir leurs flux relégués sur les canaux les plus lents. Ce nouveau coup dur à la situation déjà précaire de l’encyclopédie communautaire pourrait mener à un arrêt de son développement, voire à une fermeture qui pénaliserait les citoyens du monde entier.

Dans la foulée de l’annonce américaine, le gouvernement Trudeau a promis de garantir la neutralité du Net au Canada. Mais à l’heure où le lobbying exercé par les géants d’Internet sur les représentants libéraux transpire déjà dans les nouvelles politiques culturelles canadiennes, il faut rester attentif à l’action d’Ottawa. Bien que le principe d’abrogation de la neutralité du Net ne colle pas forcément avec la stratégie d’exportation des contenus canadiens prônée par la ministre Joly, cette dernière a démontré cet automne qu’en matière numérique, l’industrie n’est jamais à l’abri des lubies libérales.