Nelly Guidici
Du 7 au 10 juillet 2014, le juge Ron Veale examinait la plainte déposée par les Premières nations de Na-cho Nyak Dun (Mayo), Tr’ondëk Hwëch’in (Dawson), CPAWS (Société pour la nature et les parcs du Canada) et YCS (Société de conservation du Yukon) au sujet du devenir de la rivière Peel. En effet, en début d’année, le gouvernement du Yukon avait annoncé à la surprise générale que seulement 29 % du bassin serait protégé. La commission qui avait été mise en place le 15 octobre 2004 et qui, après un travail de plusieurs années sur le terrain en collaboration avec les Premières nations dont la rivière traverse le territoire traditionnel, avait préconisé que 80 % de la zone devait être protégée de tout développement.

Renie Alexie d’Inuvik s’apprête à ouvrir un bocal contenant l’eau de la rivière Peel et ainsi verser le contenu dans l’eau de la rivière Yukon lors d’une cérémonie de l’eau. Photo : Nelly Guidici.
Les deux premiers jours ont fait entendre les arguments et remarques de Thomas Berger, avocat des plaignants, tandis que les deux derniers jours ont permis à l’avocat du gouvernement du Yukon, maître John Hunter, d’exposer le point de vue de son client. Pour la première fois, le juge a autorisé qu’une partie de la première journée soit filmée. De plus, CPAWS a utilisé le réseau social Twitter pour diffuser en temps réel les arguments des deux parties.
Un énorme soutien du public
La mobilisation du public a été grande. En effet, une centaine de personnes se sont assises sur les marches extérieures de la Cour de justice le lundi 7 juillet afin de participer à une session de recueillement et de prière d’une demi-heure animée par Erica Hueur. Un feu sacré a été allumé sur le bord de la rivière Yukon derrière le Centre culturel Kwanlin Dün. Enfin, à Dawson, un cercle de prière quotidien s’est tenu tout au long de la semaine. Christina Macdonald, directrice du conseil de direction de la Société de conservation du Yukon, exprime ainsi sa gratitude envers la mobilisation générale : « L’expérience avec le public a été puissante. J’ai été époustouflée par leur mobilisation durant cette semaine. »
Les voix de la Peel
Le 10 juillet, une célébration organisée au Centre culturel Kwanlin Dün appelée Voices of the Peel, together today for our children tomorrow (Les voix de la Peel, ensemble aujourd’hui pour nos enfants demain) a réuni plus de 300 personnes. À l’initiative de Dennis Allen (réalisateur de films et musicien originaire d’Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest) et en collaboration avec CPAWS, la soirée a été l’occasion d’écouter les témoignages des aînés vivant dans les communautés le long de la rivière Peel qui avaient spécialement fait le déplacement jusqu’à Whitehorse. La relation à la Terre mère, l’importance de garder l’eau potable ainsi que la protection des animaux et plus particulièrement des hardes de caribous ont été maintes fois rappelées. Des tee-shirts ainsi que des chandails à capuche avec le slogan Protect the Peel étaient également en vente. « Le public a été énormément généreux en ce qui concerne les dons, mais nous devons continuer la collecte de fonds », précise Mme Macdonald.
Une cérémonie de l’eau a également permis à Renie Alexie d’Inuvik de verser de l’eau de la rivière Peel (spécialement recueillie et transportée pour l’occasion) dans la rivière Yukon, et ainsi exposer l’importance de garder l’eau propre. Après la cérémonie, elle a fait part de ses sentiments : « C’était le plus bel événement de ces six dernières semaines. Il m’a apporté un sentiment apaisant. »
Une couverture médiatique impressionnante
Le cas de la rivière Peel a fait l’objet de nombreux articles de presse dans les médias canadiens, dont 70 parus entre le 30 juin et le 17 juillet 2014. La Peel déclenche les passions et ne laisse pas indifférent, quel que soit son point de vue sur la question. Mme Macdonald rappelle que l’intérêt du public s’est manifesté sous différents points de vue. En effet, pour certains, c’est la démocratie en tant que telle qui est en danger au Yukon. « Pour ceux qui ont travaillé au sein de la commission par exemple, et qui ont vu les conclusions du rapport final totalement écartées y voient un manque de respect des principes de la démocratie », rappelle-t-elle lors d’une entrevue. Pour d’autres, le cas de la rivière Peel est historique, car il présente l’occasion unique de participer à la conservation et à la protection d’une des dernières zones sauvages, vierges et intactes au Canada.
Le juge Ron Veale dispose de tout le temps nécessaire pour rendre sa décision. Les organisations de protection de l’environnement concernées espèrent que le juge tranchera à l’automne prochain. En attendant, nous pouvons être certains que la rivière Peel est un cas historique au Yukon et quel que soit le verdict rendu, l’affaire fera encore parler d’elle dans le futur. Mme Macdonald fait part de son sentiment à cet égard : « L’affaire peut aller en Cour suprême du Canada! »