le Mardi 21 mars 2023
le Mardi 10 septembre 2013 16:25 | mis à jour le 9 janvier 2023 19:52 Éditoriaux

L’écho des jours et des gens

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Qu’il est venu rapidement ce départ (j’ai l’impression d’être entrée en poste hier) que je vous annonce aujourd’hui; presque aussi promptement qu’une rafale dorée de feuilles de peuplier. Je quitterai mon emploi de directrice de l’Aurore boréale à la fin du mois d’octobre prochain, poste que j’aurai occupé pendant plus de vingt-cinq ans. Cette décision se justifie par la cadence de plus en plus hâtive des saisons. Je ne veux plus être pressée.

Ma carrière au service de la communauté a été extrêmement gratifiante. J’en ai retenu la sensation grisante d’être au cœur des événements et de vouloir faire une différence au fil du temps qui passe. J’ai eu le privilège d’embrasser une profession qui, bien qu’exigeante, a été une source de renouvellement constant. Les occasions d’apprendre ont été nombreuses et toujours différentes : apprendre des événements et des choses, suivre l’édification d’une communauté au jour le jour, apprendre comment les lois fonctionnent et sont appliquées – ou non – apprendre comment passent les messages et qui veut bien les diffuser… mais surtout apprendre des gens. Veiller à ce que l’unique journal francophone du Yukon soit digne d’eux en les informant dans leur langue. Le français fleurit dans les pages de l’Aurore boréale de façon singulière avec des mots peu utilisés ailleurs dans la francophonie : les musheurs et les musheuses, les parkas et autres gréments! Le français écrit noir sur blanc est indélébile et son image vaut mille mots. Le français d’ici est comme les épilobes qui, l’automne venu, affirment leur présence dans un flamboiement heureux marquant le paysage nordique.

Une langue n’est forte que si ses locuteurs l’utilisent autant à l’oral qu’à l’écrit. Et le journal offre depuis toujours différentes tribunes où les lecteurs et lectrices peuvent s’exprimer en couchant les mots sur papier, en organisant leurs pensées afin de transmettre un message précis sous forme de témoignage ou d’opinion, en étant francophones tout simplement. La langue écrite au territoire a été publique et visible grâce au journal. Présent à l’école Émilie-Tremblay et dans toutes les écoles où le français est enseigné, l’Aurore boréale offre à tous une occasion de dialoguer. Le journal communautaire joue un rôle unique dans le grand engrenage social. Grâce à lui, la communauté sait ce qui se passe sur son sol et en son sein. Dans ses pages, les lecteurs et les lectrices puisent l’information nécessaire à la saine construction d’une société. Les différents groupes et associations l’utilisent pour faire connaître leurs activités, leurs bons coups. Les gens d’affaires y font la promotion de leurs services et produits. Le journal est un véritable forum d’idées, le mortier qui retient la mosaïque sociale et lui donne sa force. Cette mission, l’Aurore boréale l’a assumée et l’assume toujours et encore avec enthousiasme.

L’Aurore boréale est aujourd’hui une institution parce qu’il raconte et reflète la Franco-Yukonnie depuis trente ans. Il est son visage imprimé, l’écho des jours et des gens. Un outil de communication essentiel et nécessaire. Longue vie au journal et à son équipe!

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Que dire encore? Me voici qui dérive sur les eaux turquoise du canyon Miles, je franchis ensuite les rapides Five Fingers, en route pour Dawson, le berceau de la Franco-Yukonnie. Certains diront la vie est un coup de dés. La ruée vers l’or, l’attrait de l’inconnu : on avale un cocktail d’orteil momifié, on aperçoit un yéti par un soir de pleine lune, on vend son âme au diable qui affiche ses couleurs gaies.

Se pourrait-il toutefois que la vie ne soit qu’un grand coup de vent? L’amour, la famille, l’amitié; l’arrivée de personnes en mal de grands espaces; les petits et les grands départs; la naissance des bébés; les adieux déchirants et les retours s’inscrivant dans la libre trame de la dernière frontière; le respect de la Loi sur les langues et la reconnaissance de la présence francophone; les dates butoirs et les vacances d’été; la protection de l’environnement et la préservation du magnifique bassin de la Peel; les concerts de Noël et les succès communautaires; les chicanes et les réconciliations; le respect des droits et la fibre sociale qui change et se renouvelle; l’arrivée d’Internet et des médias sociaux; la naissance d’un vent chaud qui transporte des effluves de cônes de pin mouillés et d’églantiers en fleurs au milieu de l’hiver.

Et du fond de mon cœur, à ceux et celles qui m’ont aidée dans ce parcours sinueux de la vie où la lune tarde parfois à se lever, un grand merci.

Aux nombreuses personnes avec qui j’ai travaillé, je vous rends grâce pour votre patience et votre engagement.

Enfin, aux lecteurs et lectrices, un dernier remerciement, vaste et profond comme la tranchée Tintina qui pourfend ces lieux que nous aimons tant.