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le Mercredi 14 août 2013 15:29 Art et culture

La Fondation de l’art inuit renaît de ses cendres

Les programmes de financement du gouvernement fédéral, bien que pavés de bonnes intentions pour les artistes inuits, n’arrivent pas toujours à s’adapter à la réalité du Nord canadien. Les artistes inuits ont pu partager certaines de ces frustrations lors de la réunion publique de la Fondation de l’art inuit qui se tenait à Inuvik durant le grand festival des arts du Nord, Great Northern Arts Festival.

« Je suis une artiste de Tuktoyaktuk et j’ai reçu le 27 mars dernier une bourse du Conseil des Arts du Canada me permettant de construire mon studio de sculpture dans ma communauté. Toutefois, je n’avais que trois jours, soit jusqu’au 31 mars fin de l’année fiscale, pour dépenser l’argent de cette bourse. C’est insensé. Les gens à Ottawa ne semblent pas réaliser qu’en mars à Tuktoyaktuk, c’est encore l’hiver et tout est recouvert de glace et de neige. C’est impossible de s’engager dans un projet de construction à cette période de l’année. Ce système n’est pas adapté à notre réalité géographique », a souligné l’artiste Mary Anne Taylor Reid qui assistait à la réunion.

« J’ai fait de l’art traditionnel et l’ai enseigné toute ma vie. Aujourd’hui, je suis âgée et mon mari est récemment décédé. Je suis donc maintenant obligée d’aller moi-même à la chasse ce qui m’enlève du temps pour ma création. C’est mon histoire, ma réalité. Je ne sais pas comment le gouvernement peut m’aider », a confié à la même réunion l’artiste septuagénaire Kate Inuktalik.

La Fondation de l’art inuit collecte les témoignages comme celui de l’artiste Kate Inuktalik qui illustre bien la réalité de nombreux artistes aînés de l’Arctique. Photo : Marie-Hélène Comeau

La Fondation de l’art inuit collecte les témoignages comme celui de l’artiste Kate Inuktalik qui illustre bien la réalité de nombreux artistes aînés de l’Arctique. Photo : Marie-Hélène Comeau

Ces histoires s’ajoutent aux autres témoignages répertoriés au fil des rencontres des derniers mois du nouveau conseil d’administration de la Fondation de l’art inuit.

« Nous écoutons les besoins et les réalités des gens, ensuite nous serons en mesure d’agir comme courroie de transmission entre la population et le Conseil des Arts du Canada et les gouvernements territoriaux », affirme David Ruben, sculpteur et membre du conseil d’administration de la Fondation (FAI). « Il y a déjà des besoins communs que nous avons pu identifier au fil des rencontres comme le manque de personnel enseignant, l’isolement des artistes, la difficulté d’avoir accès à des stages de perfectionnement, à l’éducation ainsi qu’à un local (studio) à prix raisonnable. À ceci s’ajoutent la difficulté d’accéder au matériel de base, la faible visibilité des artistes inuits et l’existence d’un réseau de communication trop complexe reliant l’industrie culturelle », ajoute l’artiste de renommée mondiale. « À ceci s’ajoutent les défis des artistes aînés. Des histoires comme celle de Kate sont abondantes chez ces derniers. Ils ont commencé leur carrière d’artiste très tôt en vivant au jour le jour au gré de la chasse et de la pêche, sans planification à long terme. Dans son cas, elle vient de perdre son mari et doit maintenant partir elle-même à la chasse pour arriver à se nourrir. Dans mon village, on a un programme pour aider les aînés, mais ce n’est pas toujours le cas comme en témoigne l’histoire de Kate. Ça aussi on doit le prendre en considération. Dans la région de Baker Lake où la concentration d’artistes aînés est très élevée, ces situations abondent et les rencontres deviennent très émotives », signale-t-il.

Les artistes Diane Boudreau et Élisapie Gordon ont  contribué à la création de l’immense mosaïque offerte par les artistes au Grand festival des arts d’Inuvik pour souligner son 25e anniversaire. Photo : Marie-Hélène Comeau

Les artistes Diane Boudreau et Élisapie Gordon ont contribué à la création de l’immense mosaïque offerte par les artistes au Grand festival des arts d’Inuvik pour souligner son 25e anniversaire. Photo : Marie-Hélène Comeau

La FAI est un organisme à but non lucratif constitué en société en 1989. Cet organisme de soutien aux arts inuits est le seul du genre au Canada. Dirigée par des artistes inuits et des travailleurs culturels du Nord, la Fondation agit comme un service de perfectionnement professionnel, en offrant aux artistes des formations, des ressources, de l’information sur les concours et les subventions, ainsi que des occasions de réseautage. Non seulement la FAI offre un appui aux producteurs d’art dans les collectivités arctiques, mais elle aide aussi à faire connaître cet art dans tout le Canada et dans le monde entier.

La Fondation a été créée tout d’abord pour faire suite aux demandes des intervenants, notamment des spécialistes et des marchands, qui étaient conscients du rôle essentiel de l’art inuit dans l’économie du Nord. Inquiets de son déclin, ils voulaient des stratégies de stimulation à la fois de la quantité de productions artistiques et de leur qualité.

En mars 2012, la Fondation a dû cesser ses opérations en raison principalement du départ à la retraite de la personne qui gérait l’organisme depuis sa formation. « À la suite de cette fermeture, beaucoup de gens ont manifesté leur intérêt à reprendre les activités de la Fondation. Nous avons donc aujourd’hui une nouvelle équipe expérimentée en art inuit au sein du conseil d’administration et redonnons un second souffle à l’organisme avec cette tournée du Nord », explique Sammy J. Kudluk, vice-président de la Fondation.

La Fondation publie également le seul magazine consacré à l’art inuit, l’Inuit Art Quarterly (IAQ), distribué à plus de 3 000 personnes au Canada et dans le monde. Cette publication, qui a été suspendue lorsque l’organisme a cessé ses activités, reprendra dès l’automne prochain nous confirme le vice-président.